Légende photo : Mur de soutènement en pierre sèche, Nicolas Sol, Hautes-Alpes (05)
C’est un système constructif traditionnel, intemporel et universel, tout à la fois ancestral et innovant.
Partout où ce patrimoine en pierre sèche est présent, il est sage de s’interroger sur sa fonction et sa « modernité ».
Le 7 mai 2019 au Conseil de l'Europe à Strasbourg, la 10ème Conférence de la Convention européenne du paysage qui rassemblait 28 pays + 3 pays observateurs et 9 ONG, a adopté les conclusions du rapport : Session VIII – Réflexions sur les paysages de demain - 16. Rapport « La pierre sèche dans le paysage, ancestrale et innovante, pour des territoires durables » et memento. A télécharger dans l'onglet "Ressources" puis "Lire" sur ce site.
En ayant recours à des matériaux de cueillette, bois, paille, terre, pierre, l’homme a su faire preuve d’ingéniosité et d’adaptabilité pour répondre à ses besoins. Ainsi, partout où la pierre est présente à travers le monde, cette dextérité de l’œil et de la main pour assembler en calant, sans liant, des pierres tout venant, s’est diffusée oralement à travers les siècles. Ce savoir-faire bien particulier s’est forgé entre hommes de métier de la maçonnerie comme entre paysans. Quelque soit le type de pierre, calcaire, granit, schiste, gneiss, grès... ces maçonneries sont bâties sur les mêmes principes de base et les modèles diffèrent davantage par la forme de la pierre à disposition que par l’ouvrage à construire. La technique s’est affinée par empirisme. L’homme a épierré ses champs pour pouvoir les travailler, collecté les pierres en pierriers, les réemployant ensuite pour niveler les collines, installer et accompagner abri ou habitat, produire des banquettes cultivables, clôturer ses parcelles, les protéger et canaliser aussi bien l’eau que ses troupeaux.
Cependant en France, les guerres ont emporté les hommes et l’industrie a répondu aux besoins de reconstructions si prégnants alors, par l’apport d’autres systèmes constructifs. L’exode rural a vidé les collines et les montagnes, les machines agricoles et de terrassement ont bouleversé les comportements en délaissant les terrasses, en supprimant les haies champêtres et en concassant les enclos lithiques. Une brutale modification de la connaissance s’est opérée dans toutes les filières, du bâtiment, de l’agronomie et de l’agriculture. Cependant, à chaque fois qu’un paysage se referme, que le long des routes des murs s’écroulent et disparaissent pour être remplacés par du béton, de l’enrochement ou du gabion (cage de fer remplie de pierres), cette évolution est ressentie comme un mélange de nostalgie et d’absurdité. Pourtant, il suffit que ces paysages de pierre sèche soient cultivés et bien entretenus à l’année pour qu’ils expriment la qualité totale : celle du pays, celle des hommes, celle des productions.
Ainsi, certains ont réagi localement, bravant les railleries des inconditionnels du parpaing de ciment et du béton, ils ont perduré la tradition et ont bâti la pierre à sec laissant leurs empreintes par chez eux. Fin 1999, rebondissant sur le programme REPPIS (réseau européen des pays de la pierre sèche 1996-1999 Chef de file Parc naturel régional du Luberon et APARE, Agence Paysages d'Avignon coordinateur qui réunissait 4 territoires Luberon, Majorque, Zagori, Corsano) la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de Vaucluse a repéré, puis rassemblé et accompagné des praticiens de différents départements pour créer un groupe de travail. Le Parc national des Cévennes l'a rejointe dès l'automne 2000 en organisant un séminaire à Majorque. Cette action s’est inscrite en complémentarité des travaux d’inventaires et de sauvegarde des cabanes en pierre sèche opérés par nombre de bénévoles, partout en France. Ainsi, composée d’une poignée de chercheurs, d’artisans ou d’encadrants technique de chantiers d’insertion, leur mobilisation a mutualisé compétences, énergies et passions pour ébaucher une filière professionnelle. A partir de 2003, la préoccupation de Développement Durable s'est largement répandue et en 2005, le Ministère de l'artisanat a qualifié leur démarche d'exemplaire. Cette reconnaissance leur a donné un « coup de pouce » et a renforcé leurs convictions. En quelques années, leur dynamique a construit la reconnaissance de ce système constructif en prouvant scientifiquement, combien et comment, la pierre sèche s’avère pertinente pour les générations futures.
La mise en commun des savoirs et la pluridisciplinarité ont permis de perfectionner la mise en œuvre, validée par plusieurs thèses successives de doctorat d’ingénieur. Des murs tests ont été expérimentés avec le calcaire du Vaucluse en 2002, puis le schiste des Cévennes en 2003 et enfin le granit des Cévennes en 2007. Cette progression collégiale a produit Les Règles de l’Art avec abaques de calculs de dimensionnement des ouvrages : « Guide de bonnes pratiques de construction de murs de soutènement en pierre sèche » édité en 2008. L’étape suivante a mené ce collectif à construire une qualification professionnelle nationale : le Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) « ouvrier professionnel en pierre sèche », validé par la Commission paritaire nationale pour l’emploi dans le BTP le 4 mars 2010. L'homologation d'un niveau supérieur, CQP"Compagnon professionnel en pierre sèche" a suivi en 2014 présenté en solo par les ABPS.
Certification de la technique et qualification du savoir-faire ont apporté la crédibilité qui manquait pour rassurer les prescripteurs, les assurances professionnelles et encourager certains élus à tout mettre en œuvre pour soutenir le retour à l'art de bâtir en pierre sèche sur leur territoire. Depuis, des praticiens sortent de leur isolement, des jeunes éveillés à l’éco construction se découvrent une vocation, et, venus de partout en France, se présentent à l'examen du CQP. Si certains y trouvent l’intérêt d’une reconnaissance, d’autres ajoutent cette compétence à leur entreprise, voire créent leur propre emploi. Des groupements momentanés d’entreprises (GME) s’organisent pour répondre aux appels d'offres des marchés publics qui demandent un gros volume de pierres.
La dynamique de réseau a servi de levier pour interpeller les donneurs d’ordres, ouvrir une filière et générer un marché. Un marché de niche, certes, mais multi niches.
Terrasses, soutènements, soubassements, enclos, clôtures, rampes d’accès, chemins, routes, seuils de torrent dans les talwegs, berges de rivières, ce système constructif ancestral ne relève plus seulement du pittoresque. Pour autant qu’elles soient correctement mises en œuvre, ces maçonneries réunissent plusieurs qualités : drainage, souplesse et résistance. Ces caractéristiques sont essentielles dans la prévention des risques naturels d'inondation: dispositif anti érosif, gestion du ruisselement rapide dans les bassins versants, barrages en travers des talwegs, seuils de rivières, terrasses comme bassins de rétention. La rareté de l’eau ou l’excès en pluies dévastatrices, est devenu une préoccupation majeure. D’autre part, l’épaisseur de ces maçonneries, leurs anfractuosités, le maintien de l’humidité et l’inertie thermique de la pierre, créent un écosystème avec un microclimat, véritable niche à biodiversité, laquelle est favorable à la culture biologique et vecteur de corridors écologiques.
Construire en pierre sèche, c’est être conforme :
-consommer mieux en économisant l’énergie (moins de carburants fossiles, moins de transport)
-produire autrement en préservant l’environnement (plus de ressources locales, moins de déchets)
-faire progresser la société grâce à des projets mobilisateurs (projets coopératifs)
-créer des emplois dans de nouveaux métiers d’avenir et dans le bâtiment.
La pierre sèche agit sur les trois piliers du développement durable. Sous l’angle de l’analyse du cycle de vie (ACV) et du coût global, un soutènement en pierre sèche a une réelle pertinence économique. Qui plus est, construire ou assurer la maintenance des ouvrages existants, c'est développer un marché local qui offre de l’emploi non industrialisable et non délocalisable. Par conséquent, c’est aussi redonner sa noblesse au savoir-faire et agir durablement pour les territoires.